Comment ils ont réussi leur tour de l'Atlantique en voilier ?

Lorsque l’on voyage, on rencontre beaucoup de monde, de nombreux voyageurs ayant chacun leur histoire, chacun leur programme. Ces rencontres sont des plus enrichissantes, car vous pourrez apprendre des autres, tout comme ils apprendront de vous également.

Cette semaine, je vous présente une charmante petite famille qui voyage, et qui a un jour décidé de partir naviguer. Je choisis mes mots avec soin, car lorsque l’on parle des navigateurs qui voyagent en famille et quittent une vie sédentaire pour une vie nomade, on emploie souvent cette expression « ils ont tout quitté ! ». Je n'aime pas cette expression, et la rencontre avec Marie, Thibault et Lou le prouve. Ils n'ont pas tout quitté, ils ont osé aller là où était leur « tout » à eux.

Ces portraits de navigateurs pourraient peut-être vous aider à vous identifier. Comprendre leur parcours et leurs choix est aussi important pour ceux qui veulent se lancer. J’essaierai de vous présenter différents profils de navigateurs qui se livreront ici sans filtres. Les bons choix comme les mauvais, ils nous diront tout sur le changement de vie.

Voici donc l’histoire de l’équipage de ce joli petit voilier. Marie et Thibault vivaient et travaillaient en Bretagne et naviguaient déjà sur un bateau à moteur. Sans être de grands marins, ils avaient déjà une sensibilité maritime et un regard quotidien sur la mer. Un jour, Thibault a ressenti au fond de lui cette grande attirance et cette grande envie de voyager en voilier. Il décide d’en parler avec Marie.

Emballés par cette idée, ils décident ensemble de lancer la première phase qui consiste à savoir s'il est possible financièrement de réaliser un tour de l’Atlantique en famille sur une année. Ils passent beaucoup de temps à réaliser des recherches afin de n'oublier aucunes cases. Le prévisionnel financier réalisé, le verdict tombe : ils devront vendre la maison pour financer l’achat du bateau et avoir de l’argent devant eux pour une année sabbatique sur l’Atlantique. C’est à ce moment là que, lorsqu'ils en parlent autour d’eux, les avis sont parfois un peu hostiles. Pas toujours simple d’avoir l’approbation de ses proches lorsque vous décidez de prendre une décision qui va à l'encontre du déroulement d’une vie bien cadrée.

Il est maintenant temps de passer à la phase deux : se former et devenir des navigateurs. Il y a dans leur entourage un oncle (Merci Tonton) qui navigue depuis longtemps, à qui ils demandent conseil. Ils veulent être prêts pour partir l’année suivante ! Un timing ambitieux mais pas impossible s'ils s'y prennent bien. La machine est en marche ! Ils décident d’acheter un petit voilier pour se former, le choix se porte sur un joli petit First 18 prêt à naviguer. Les navigations se réalisent en milieu protégé, histoire de ne pas se faire peur. Ils engrangent de l’expérience et en même temps travaillent sur tous les autres aspects de leur projet : administratif, recherche du futur voilier, techniques de navigation, parcours, météo et bien plus encore. Lorsque l’on est débutant, difficile de ne pas avoir le vertige tant il y a d’informations sur le web et surtout d’avis différents. Mais Marie et Thibault prennent cela en mains tout en gardant la tête froide.

Le choix du bateau :

Comme beaucoup de débutants, ils veulent un bateau un peu trop gros, non pas pour eux, mais plutôt pour leur budget. Il faut être conscient que nous sommes nombreux à vouloir un bateau un peu trop cher pour notre budget, et cela a un impact sur le bon déroulement du voyage. Tout le monde le sait, mais très peu l’appliquent : « petits bateaux, petits ennuis », très peu mais pas Marie et Thibault. Ils visitent des bateaux et notamment, c’est un Beneteau Oceanis 36.1 qui sera choisi. Un 36 pieds pour une famille de trois peut paraître petit, mais c’est plus le tonnage que la longueur qui est important. Ce 36 pieds a tout d’un grand ! 3 cabines, une très belle salle de bain, une cuisine où l’essentiel est là. Certes, les petits bateaux sont un peu plus secoués par mauvais temps, mais ils sont prévus pour cela. Un des points les plus importants est que ce joli petit bateau est dans un super état. La grand voile et le génois doit être changée, mais à part cela, tout a l’air de fonctionner. Réaliser un bon achat lorsque l’on est débutant est très compliqué, et Marie et Thibault décident bien évidemment de faire appel à un expert. Même si l’expert ne peut pas vérifier chaque vis du bateau, c’est une garantie pour ne pas avoir de gros soucis dans l’avenir.

Phase 3, la préparation :

Alors là, attention, cela ne se passe pas toujours comme cela ! Thibault, malgré l’expertise, commence une grande visite du bateau, tout est passé à la loupe. Un Bimini est rajouté, les batteries changées, le gréement datait de juste quelques années et après inspection rien ne sera changé. Les voiles partent en voilerire pour être controlées. Un spi asymétrique, une grand voiles, un génois et un solent sur mousquetons, sont passés au peigne fin ? Verdict : la grand voile et le génois doivent être changés. C’est une dépense qui n'était pas prévue, mais c’est malheureusement indispensable.

C’est tout de même une préparation facile et rapide. Achat du voilier au mois de mars pour un départ à la fin de l’été. Lorsque vous réalisez un bon achat, les frais engendrés par la préparation sont toujours moins importants. Ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre ! Achetez-vous un costume à votre taille.

Une fois le bateau acheté et mis à l’eau, il va falloir faire connaissance avec la bête. Chaque avant-départ est toujours précédé d’un grand tumulte, amis, famille, administratif, les emplois du temps sont souvent trop remplis. Là aussi, les conséquences peuvent être compliquées. Partir lorsque vous êtes épuisés n’est vraiment pas une bonne idée.

Encore une fois, Marie et Thibault ne tomberont pas non plus dans ce piège ! Ils prennent le temps de naviguer au maximum avec leur nouvelle monture pour être le plus à l'aise possible.

Le grand départ !

Initialement, Marie et Thibault ne pensaient pas traverser l’Atlantique et envisageaient simplement de descendre aux Canaries via le golfe de Gascogne, le Portugal, Porto Santo, les Canaries, les Açores, puis de revenir en France. C’est ce que l’on pourrait appeler un petit Tour de l’Atlantique. Petit, mais pas forcément le trajet le plus simple. Le bateau est prêt pour une transatlantique, l’équipage aussi, mais au moment du départ, ils ne le savaient pas encore.

Un golfe comme un billard !

La première grande traversée est celle du golfe de Gascogne. Après avoir réglé les problèmes de mal de mer, Marie m’explique à quel point cette traversée a été sublime ! Une fois le golfe traversé, les navigations s’enchaînent, la confiance s’installe et une routine fantastique se met en place. La décision de traverser l’Atlantique est prise depuis les Canaries. Une fois élancés en direction de la Martinique, Thibault et Marie se rendent compte que leur choix de fenêtre météo est trop fort. Le vent souffle fort, la mer se creuse, 25 nœuds, ça va, 30 on s’organise, 40 on subit, on s’inquiète, on ne comprend pas. Là encore, la petite famille prend une bonne décision et visiblement Thibault a parfaitement intégré le fait de naviguer en bon père de famille ! Ils décident de se dérouter vers le Cap Vert pour se reposer un peu et sortir de la zone rouge. Après un peu de repos et le moral gonflé à bloc, les voilà de nouveau en route vers la Martinique. Lou, elle, vit tout cela du haut de ses deux ans et demi et nous prouve à quel point les enfants ont une capacité à s’adapter.

Une nouvelle transat débute et tout se passe bien, du moins pendant les 1000 premiers milles… À mi-chemin, le pilote commence à montrer des signes de dysfonctionnement. Thibault essaye en vain de réparer, mais il lui manque une pièce qu’il ne pouvait pas prévoir d’avoir à bord. Il va falloir se relayer à la barre jusqu’à l’arrivée. Et pour la troisième fois, c’est une nouvelle transatlantique qui s’organise… Le quart se déroule bien en alternant, les heures à la barre, les tâches quotidiennes comme les repas et bien évidemment s’occuper de la petite Lou.

L’arrivée en Martinique n’est pas accueillie comme un soulagement, mais comme l’aboutissement d’un voyage à la voile. Et c’est cela qui est important ! Beaucoup auraient été dégoûtés à vie du bateau, mais pas cet équipage ! Il se trouve que ces jeunes navigateurs ont en eux cette force tranquille qui fait le panache des marins. Malgré les galères, malgré le mauvais temps et les soucis, la passion et le plaisir restent intacts. Cette capacité de résilience est fondamentale pour ne pas seulement aller en mer et subir, mais pour vivre ses navigations pleinement.

La vie aux Antilles est douce, les mouillages paradisiaques, les copains, les belles navigations, tout cela est trop beau pour durer. Effectivement, en mars 2020, le COVID prend la planète en otage ! Non, non… pas toute la planète ! Là encore, avec un moral à toute épreuve, Lou, Marie et Thibault profitent de leurs moments de confinement en mesurant la chance qu’ils ont d’être là où ils sont !

Le retour :

Mais il est temps de prendre la route en sens inverse et de retourner travailler en France. Le souci est que sur le chemin, beaucoup de pays refusent d’ouvrir leurs portes. Faire escale aux Açores, selon certaines sources, est compliqué. L’équipage décide donc de réaliser une transatlantique directe depuis la Martinique jusqu’à la Roche Bernard. Oui, je sais ce que vous vous dites ! Pour une famille qui, au départ, ne voulait pas traverser l’Atlantique… Ils ont vraiment changé ! Mais surtout, ils aiment naviguer ! Car comme je le dis souvent pour taquiner mes élèves... "Connaissez-vous la différence entre un plaisancier et un navigateur… ? Un plaisancier aime aller sur l’eau pour jeter l’ancre dans un joli mouillage, le navigateur aime lever l’ancre pour faire du bateau à voile, du joli bateau à voile même (pour ceux qui ont la référence)." Trente trois jours de traversée sans soucis particuliers. L’aide d’un routeur météo professionnel a été sollicitée afin d’assurer un maximum de sécurité.

Et maintenant ? Comment rentrer et reprendre sa vie d’avant comme si de rien n’était. Un voyage comme celui-ci marque et laisse des traces de bonheur. Cette vie devient vite addictive. Mais le souci est simple… l’argent est encore une fois le nerf de la guerre. Thibault et Marie, avant même d’avoir remis le pied à terre, avaient décidé de repartir pour un voyage un peu plus long. La vie en France peut reprendre son fil ; maison louée, travail retrouvé après une année de disponibilité. Mais attendre 3 ans, c’est long ! Le voilier lui, est toujours là, prêt à partir, mais cela ne suffit pas. C’est à ce moment que Marie décide de se former pour travailler en ligne et de créer sa propre entreprise. Pari gagné encore une fois ! Après s’être formée, Marie trouve ses premiers clients. Il aura fallu tout de même patienter deux ans avant de repartir. Une nouvelle date de départ est fixée pour reprendre la route du soleil, mais les choses ont changé et le monde n’est plus vraiment le même, y compris dans le monde des navigateurs. Plus de monde sur l’eau, plus de monde dans les ports et les marinas. Pour couronner le tout, les problèmes avec les orques qui «interagissent» avec les safrans des voiliers créent une ambiance stressante, notamment le long des côtes du Portugal, à tel point qu’il est envisagé de faire demi-tour et d’arrêter le voyage ici. Mais encore une fois, cet équipage faisant preuve de courage, mais surtout de clairvoyance, s’accroche à son rêve. Après beaucoup de réflexions, le trajet est adapté pour qu’il soit le plus sûr possible afin de rejoindre les Canaries.

Le travail en ligne représente une solution au voyage, mais soyons lucides, ce type de travail ne s’improvise pas ! Beaucoup en rêvent, peu y parviennent. J’écrirai un article dédié aux moyens (réels) pour financer son voyage.

Le bilan :

Marie, Thibault et la petite Lou sont enchantés de cette nouvelle vie et de cette nouvelle aventure qui n’en est plus vraiment une ! Et c’est tant mieux car l’aventure est synonyme d’incertitudes et cela peut être usant à long terme. Pour le moment, l'équipage naviguent et profitent des Canaries. Des erreurs, il y en a eu, des inquiétudes également, mais dans l’ensemble, c’est un pari gagné.

Je leur ai posé beaucoup de questions sur leur parcours, mais aussi nous avons parlé des points forts de cette vie, notamment d’un point de vue familial. Passer du temps ensemble est un point qui revient souvent. Voir leur fille s’épanouir, la voir grandir est une grande satisfaction. Le beau temps, les belles navigations sont aussi des points forts.

J’ai demandé à Marie si elle se sentait libre et la réponse est clairement oui ! Lou est au centre de beaucoup d’attention pour que cette vie lui apporte un maximum de bonheur. Le côté social pour les enfants qui vivent et voyagent sur les bateaux est très important et tous les parents que j’ai rencontrés sont toujours en quête de nouvelles rencontres pour leurs enfants. Et c’est cela qui est vraiment génial ! Peu importe la taille du bateau ou celle du portefeuille, quand deux bateaux avec des enfants sont dans la même marina, vous pouvez être sûr que les présentations seront rapidement faites.

Une fois que les enfants ont compris les codes de cette nouvelle vie, de cette nouvelle socialisation, ils savent que lorsqu'ils rencontrent d’autres enfants, ce ne sera peut-être que pour une courte période. Les amitiés se lient à une vitesse incroyable et le départ des petits copains n’est pas une déchirure car ils savent que d’ici quelques temps, ils rencontreront d’autres enfants comme eux. Le plus fabuleux, c’est de se revoir de l’autre côté d’un océan. Je ne vous cache pas que c’est exactement la même chose pour les parents !

J’espère que cet article vous aura intéressé, qu'il aura répondu à certaines de vos questions ou, mieux encore, créé chez vous une curiosité pour ce mode de vie.

Merci à Marie et Thibault de m’avoir donné un peu de leur temps.

Bonne fin de journée.

Valéry